Focus technique : un programme en autogestion et autopromotion, une des facettes de l'habitat participatif
Différentes approches de l'habitat participatif ont émergé depuis 30 ans. Dans les années 1980, le mouvement de "l'habitat groupé autogéré" devenu "écohabitat groupé" nait d'une volonté de trouver une solution intermédiaire entre l'habitat individuel et le tout collectif avec des espaces privatifs et des espaces en commun qui vont être autogérés. Le mouvement vit une véritable renaissance dans les années 2000 (contexte de crise, difficulté d'accès au logement, lutte contre l'individualisme,...) avec une nouvelle composante, l'écologie. Depuis peu, on observe une nouvelle population, composée notamment de personnes âgées, qui sont attirées par l'habitat participatif pour retarder le départ vers la maison de retraite voire d'autogérer son vieillissement et sa fin de vie à domicile. Ce nouveau public n'a pas forcément de fibre écologique mais défend une approche intergénérationnelle, de solidarité de voisinage,... Si chacun partage généralement l'ensemble de ces préoccupations, chaque groupe sera amené en avançant dans sa réflexion à arbitrer et hiérarchiser ses objectifs pour donner à son projet une "couleur" qui lui sera propre.
On note cependant que les modèles des années 80 sont devenus difficilement reproductibles, les nombreuses normes et réglementations sont venues ajouter de fortes contraintes. Le logement est devenu plus performant et plus complexe. On peut de moins en moins faire seul, sans compétences financières, techniques ou économiques. On doit donc souvent travailler en partenariat, en s'associant à des professionnels qui vont permettre de faire émerger le projet, ce sont par exemple les promoteurs coopératifs.
Leur rôle est notamment de s'assurer que le calendrier et les coûts sont maîtrisés. Ils interviennent en soutien à un collectif déjà constitué qui ne souhaite pas devenir autopromoteur ou peuvent aider à constituer ou agrandir un groupe qui partage une vision commune.
Comme le défend l'association Parasol, l'habitat participatif n'est pas réservé à un public d'accédants capable de financer son logement. D'autres formes existent pour permettre à des publics moins solvables de rentrer dans de tels projets :
- capter les aides institutionnelles en impliquant un bailleur social pour créer des logements sociaux participatifs,
- s'appuyer sur la finance citoyenne grâce à des investisseurs solidaires,
- mettre en place une démarche autonome d'autopromotion et/ou d'autoconstruction qui permet d'économiser une part substantielle de l'investissement de base.

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Pour la Cie.Rit, les tâches d'autopromotion ont mobilisé les personnes à tour de rôle sur une durée cumulée estimée à une année de travail à temps plein :
- recherche du lieu et démarches (notaires et mairie)
- définition des objectifs, de l'organisation et des modalités de fonctionnement du groupe
- définition du programme architectural
- recherche de l'architecte
- montage des statuts juridiques
- budget prévisionnel
- suivi juridique (recours)
- analyse des offres des entreprises et négociations avec les fournisseurs
- comptabilité et appel de fonds
- montage des dossiers de viabilisation et relation avec les prestataires
- suivi administratif (taxes)
Afin de mener à bien cette démarche en autopromotion, il a fallu formaliser le regroupement des ménages en créant une Société Civile Coopérative de Construction. Cette SCCC a permis de lier moralement les membres du groupe et de disposer d'une entité juridique unique pour discuter avec les différents interlocuteurs du projet. Ce statut a notamment permis à 3 familles d'acheter le foncier et d'en intégrer une quatrième par la suite. Chaque signataire est solidaire et les autres membres de la SCCC ont un droit de regard si l'un des membres souhaite vendre ses parts.
Aujourd'hui c'est la SCCC qui gère les charges en refacturant les consommations d'eau à chaque foyer ce qui permet de ne souscrire qu'un abonnement. Si cette structure venait à être dissoute par ses membres, elle serait remplacée par une copropriété standard avec une association syndicale libre comme gestionnaire.
Suite à ce projet, une monographie intitulée "Code-source" des méthodes et moyens mobilisés pour la réalisation d'un programme immobilier "autogéré" en autopromotion et autoconstruction a été réalisée sur la base d'entretiens avec les fondateurs-résidents de la Cie.Rit et Samuel Lanoë, de l'Epok (appui aux démarches d'habitat participatif – www.lepok.org). Ces entretiens ont été conduits dans le cadre d'une recherche-action « Rendre l'habitat participatif accessible au plus grand nombre » co-financée par la Fondation de France et le Conseil Général d'Ille et Vilaine, et impliquant l'Epok aux côtés de différentes parties prenantes de l'habitat participatif. Cette recherche-action vise l'identification des différents moyens devant permettre de rendre les démarches participatives accessibles (économiquement) au plus grand nombre.
Les habitants de la Cie Rit ont également créé un blog permettant de partager leur expérience : http://cie.rit.free.fr/blog/
Coût de construction
En phase esquisse, sur la base des propositions faites par l'architecte, le groupe précise un certain nombre d'éléments qui permettent d'aboutir à un scénario. Il va au delà de la capacité de financement du groupe, il s'agit alors de trouver 350 000 € d'économies :
- certains foyers négocient une augmentation du montant à emprunter auprès de leur banquier, il reste 300 000 € à économiser,
- au stade APD, l'architecte affine le projet et revoit à la baisse certaines options, ce sont 50 000 € d'économisés,
- afin d'économiser la majeure partie de la main d'oeuvre, estimée à 250 000 €, l'équipe choisit de mettre en place une démarche d'autoconstruction. Chaque foyer décide de consacrer l'équivalent d'une année de travail d'une personne à temps plein sur le chantier.
"Sur le prévisionnel, tout le monde nous avait dit de prévoir 15 % de marge d'erreur. Mais ces 15 % d'erreur n'existent que parce que les prévisionnels sont incomplets et imprécis. L'écart sera au final de 2 à 3 % à la baisse, sachant qu'on a ajusté notre prévisionnel au fur et à mesure. Nous n'avons pas eu de surprises car nous avons beaucoup travaillé en amont et suivi le budget tout au long du chantier."
Financement
Une des difficultés a été de convaincre les banques qui ne sont pas habituées à financer des projets pour lesquels une partie du gros oeuvre est réalisée en auto-construction soulevant le problème de "l'assurabilité" de l'ouvrage.
Les banques ont été particulièrement frileuses à accorder un crédit immobilier à cause de la particularité de la SCCC. C'est cette structure qui est propriétaire du terrain et des logements, les familles étant uniquement propriétaires des 4 parts de la société pour un montant de 20 €. La SCCC permet en effet que les emprunteurs soient les particuliers et non la société, à la différence d'une SCI classique. Chaque foyer a été contraint de faire une hypothèque sur son logement. Le groupe note ici une méfiance des organismes bancaires qui est due à "la méconnaissance du statut et la frilosité face à tout ce qui est inhabituel et semble présenter un quelconque risque."
Lien social
La notion de "vivre ensemble" est une composante centrale du projet. Elle est abordée dès la rédaction du programme qui se construit en alternant réflexions collectives et travaux de rédaction individuels. Cette démarche permet d'amener le groupe à converger vers une vision commune du projet, notamment sur les usages et les besoins.
A l'usage, il apparaît que les habitants investissent au delà de ce qu'ils imaginaient des espaces communs comme la galerie.
Chantier
Le chantier a été l'occasion d'accueillir les voisins qui souhaitaient en savoir un peu plus sur ce projet atypique. Les relations ont été globalement bonnes dans la mesure où beaucoup d'entre eux étaient des amis, ou des amis d'amis. Un minimum d'information a été diffusé lors des phases de chantier bruyantes ou le passage de camions de livraison dans la rue.

Vie du chantier - © La Cie.Rit